Grâce à cette incursion dans une boulangerie de production industrielle à Rodrigues, une compréhension globale sur les méthodes de fabrications les plus courantes de pain baguette, à travers le monde, est possible.
Bienvenue au Four de La Ferme. C’est un fournil, qui opère dans la commune Rodriguaise de La Ferme, d’où il tire son nom.
A Rodrigues, comme dans une majorité de pays, une réglementation du prix du pain permet de rendre cet aliment accessible au plus grand nombre.
Et l’ensemble de la profession boulangère doit se conformer à des règles de mises en pratique de l’activité :
Extrait de la législation des boulangers sur le site officiel du Gouvernement Mauricien
De même, l’accès aux farines peut être facilité par l’attribution de subventions comme c’est la cas à Maurice ou Rodrigues.
C’est un peu ce qui régit le mode opératoire privilégié.
Avec un coût du pain à 27,5 Roupies (o,7o€) du kilo, (façonnage en petites pièces compris) ; il est nécessaire de dépasser le millier de pièces produites pour arriver au seuil de rentabilité journalier.
Dans ces conditions il est judicieux de recourir à une production mécanisée qui, non-seulement, fait passer la production 1500 ou 2000 pièces ; mais permet même d’en produire 3000. Cette différence seulement fera la marge bénéficiaire du boulanger.
Produire un pain à ce prix exige :
Un temps d’exécution divisé par deux,
Tributaire lui-même d’un pétrissage rapide et chahuté, maximisant l’oxydation et donc la fermentation
Ce qui induit un besoin en farines boostées et améliorées, sans quoi la pâte ne résisterait pas au traitement auquel elle est soumise.
Pour une telle quantité de pâte il faut des machines offrant un façonnage cadencé et une cuisson en masse
Les farines utilisées à Rodrigues proviennent des Moulins de la Concorde, meunerie industrielle basée à Port-Louis (Ile Maurice), écrasant des blés en provenance de France et un peu d’Australie.
Les Moulins de la concorde traitent 140 000 tonnes annuelles de blé pour toute la région Mascareignes/Océan Indien, bénéficient d’un laboratoire de suivi des caractéristique des lots de blés et d’une cellule de formation à l’intention des boulangers de cette région.
Ils font eux-même les assemblages et améliorent eux même les farines.
La farine améliorée :
1 est issue d’un assemblage de blés dits « forts » (Protéinés, riches en Gluten)
Plus une farine est forte, plus sa pâte aura une résistance à l’extensibilité et à la déchirure, plus le pâton explosera au four. Par contre cela augmente le temps de fermentation
2 est enrichie en Amylases fongiques du même type que ceux naturellement présents dans le blé. Cela permet d’augmenter le processus de fermentation grâce à l’action d’une déstructuration des amidons du blé dans la farine, dont les amylases sont responsables.
3 est enrichie en Acide Ascorbique (Vitamine C de synthèse), comme dans la majorité des aliments de la production de masse. Cet additif permet habituellement de limiter l’oxydation (comme temporairement, quand on met du citron sur de l’avocat), mais associé à un pétrissage rapide, c’est l’effet inverse qui se produit, vu que la barrière protectrice de vitamine C perd son uniformité.
Pour un pétrissage dynamique et économique, le pétrin à spirale ( dit « à queue de cochon » est le plus courant.)
La pâte est peu hydratée (entre 55 et 65% selon les boulangeries), afin de conserver une maîtrise du processus de fermentation, qui est très réactif à la présence d’eau.
Cela fait une pâte qui n’aura pas beaucoup tendance à coller aux doigts ou à couler du plan de travail.
La fermentation est lancée grâce à de la levure boulangère déshydratée (Saccaromyce Cervesae).
La division en pâtons s’opère très vite manuellement et permet, grâce à des mains rendues expertes, d’éviter la pesée.
Formé en gros boudins il suffira ensuite de diviser le pâton en fragments cylindrique.
Habitué à façonner des pièces de 800g à 1kg, j’ai un peu de mal à débiter des cylindres qui doivent être calibrés à 200g. Sans oublier que cela fait des semaines que je ne panifie plus. Mais au bout d’une demi/heure le ressenti s’installe.
Rassemblés les fragments sont transmis à l’équipe chargée du façonnage.
Une façonneuse automatique permet, grâce à un jeu de deux tapis roulants en toile s’opposant en un couloir rétrécissant, s’abouchant à un petit goulet d’étranglement, d’élonger le pâton afin de lui donner une forme de baguette ou demi-baguette, ficelle, etc.
Bon d’accord, je vous fais un dessin ! (Vue de profil)
La façonneuse aurait pu conférer un rendement allant de 1000 à 2200 pièces à l’heure quand le bonhomme suit, s’il s’était agit d’une production en continu. En l’occurrence il n’y a que 3 grosses petrissées au four de La Ferme
Il faut surtout éviter la sur-production.
Une heure de pointage (ou de pousse ou bien de fermentation) en chambre tempérée permet un enfournement au bout de 45 minutes à une heure. Car il y a une température où un pic de fermentation est atteint.
23 minutes d’enfournement seront nécessaires pour la cuisson. Ici, pas de cuisson sur sole, on utilise des fours ventilés à cuisson rotative.
Le chariot entier est enfourné, puis défourné, laissant échapper ensuite, cette commune odeur de pain cuit ; resté chargé jusqu’à refroidissement du pain qui crépite avant son conditionnement pour la vente et la livraison.
On a donc affaire à un pain d’apparence presque brioché, dont la saveur sera gourmande au sortir du four et dans les premières heures qui suivent.
Il est d’un volume aussi important que sa masse est légère. Sa croûte est ultra fine et sa mie est très uniforme sans véritables coalescences (bulles).
Sa couleur rosée témoigne d’une réaction de maillard marquée ( processus de mutation chimique propre au culinaire impliquant entre autres la caramélisation), ce qui s’explique par la teneur en amidons déstructurés.
Certain hésiteront à dire qu’il s’agît d’une réelle "panification". Mais il faut prendre en considération le fait que cet accès à du pain, à un tarif aussi bas, a permis au cours des dernières années, et permet encore à des pays entiers de bénéficier d’une base alimentaire constante, source de protéines (gluten) et de sucres (amidons).
C’est grâce à cette politique alimentaire que de nombreuses personnes peuvent entourer leurs aliments d’un sandwich, pour ensuite travailler l’estomac repu.
Et puis cet aliment, rentré dans les mœurs génère un attrait qui reste constant même pour ceux qui ont aujourd’hui accès à du pain artisanal.
L’émergence dont l’Ile Maurice a bénéficié en la double-décennie passée est certainement tributaire de cet accès favorisé au pain.
Le lois encadrent de manière précise l’activité afin d’éviter la moindre pénurie. En cas de fermeture, un boulanger doit s’acquitter de ces quelques dispositions au préalable :
1- s’arranger avec un confrère pour alimenter son périmètre d’activité pendant ce temps
2- formuler une demande à l’État
3- prévenir les autorités suffisamment à l’avance
Merci en tous cas à Monsieur GOPAL, pour son implication et sa confiance.
Un grand merci aussi pour l’accueil qu’il nous a réservé au sein de son entreprise, pour son application destinée à nous éclairer sur ses méthodes de management, modernes au demeurant, ainsi que les enjeux de l’économie locale.
Cela semble être assez similaire à ce qu’on trouve à Madagascar, où une variante de pain-baguette a pourtant été élaborée. Commercialisée en petite quantité dans certains commerces de Tana pour 600 Ariary (o,17€) au lieu de 400 Ariary (o,11€). C’est le Mofo Mavesatra (Pain Lourd littéralement). Sa recette comprend de la masse de manioc cuit, conférant au pain un aspect plus moelleux, moins rosé, avec apport non-négligeable en fibres, en glucides et en hydrates de carbone. Tout cela à moindre coût.
Ce qui prouve que le pain de production de masse de nécessité ne fait pas d’ombre à d’autres possibilités intéressantes de développement.